À l’heure où 1,49 milliards d’individus* utilisent mensuellement Facebook (dont 30 millions en France) et où 304 millions font de même avec Twitter (dont 2,3 millions en France) est-il encore pertinent de se poser cette question ?
Au regard des chiffres, évidemment non. Mais les chiffres ne font pas tout et les réseaux sociaux ne sont pas le Graal de la communication moderne. Tout juste sont-ils le vernis le plus moderniste. Et somme toute, le plus évanescent.
Alors, y être ou pas ?
Facebook, Qzone, Twitter, Instagram, Google+, Tumblr, Baidu, Sina Weibo, Pinterest, Snapchat, YouTube, Myspace, Linked in, Viadéo, ou encore Périscope**… N’en jetez plus ! Les réseaux sociaux ne sont plus un phénomène de mode. Ils sont bel et bien dans la place. Et quelle place : au niveau mondial, 82 % des internautes sont ainsi inscrits sur Facebook et 48 % en sont des utilisateurs réguliers***. Au niveau hexagonal, 85% des Français sont inscrits sur au moins un réseau social. Pour autant, seuls 55 % sont actifs.
Alors oui, il faut être sur les réseaux sociaux que l’on soit dans les sphères de la communication d’entreprise, associative ou publique. Mais pas n’importe comment. En soi être présent n’est pas une stratégie de communication tout au plus est-ce une stratégie défensive (ou présentielle) qui peut s’avérer désastreuse en terme de réputation et de notoriété. Autrement dit, il faut avoir une ambition, établir une carte, construire un plan de bataille, savoir à qui, comment et à quel rythme on parle et sur quel réseau social, définir des moyens (financiers, techniques, humains) et évaluer le ROI de ses actions et parfois même de son inaction. Un lieu ou théâtre conceptuel s’impose : celui de la représentation sociale qui au sens où l’entend le psychologue social Serge Moscovici comporte trois dimensions : l’attitude (qui exprime un positionnement, une orientation générale, positive ou négative par rapport à l’objet de la représentation), l’information (autrement dit la somme et l’organisation des connaissances précises ou stéréotypées sur l’objet de la représentation) et enfin, le champ de représentation (qui est constitué d’éléments à la fois cognitifs et affectifs).
De fait une logique prévaut à toute tentative de définition de ligne éditoriale ou de stratégie de social média. Une logique qui peut se résumer au triptyque suivant : présence – absence – distance. Et qui devra inévitablement se transformer en logique d’action, de relation et de conversation. Car à vouloir être partout, tout le temps, on finit par être nulle part et dire n’importe quoi à n’importe qui. En clair : « à saouler tout le monde ».
Aussi, si une stratégie social média ne peut être pensée hors-sol (donc de son environnement économique, social, politique) et doit être couturée sur mesure, il convient néanmoins, et en tout premier lieu, d’éviter un certain nombre de pièges ou d’écueils facilement contournables. Pour cela, il faut prioritairement :
1. Penser système d’information
Les réseaux sociaux ne sont pas le web et encore moins le print. Les codes, le langage, la temporalité, les us et coutumes – si on s’autorise cette expression – ne sont pas les mêmes. Pis, chaque réseau est un système informationnel et identitaire à part entière. Inutile donc de reproduire ce que vous avez fait par ailleurs sur d’autres canaux. Ça ne marche tout simplement pas ! Il faut penser système d’information et canaux de diffusion (quels contenus pour quels supports, à quelle fréquence et pour quelles cibles ?) et travailler sur les complémentarités à mettre en place entre ces canaux pour obtenir une stratégie globale et cohérente qui réponde au mieux aux objectifs initiaux. Objectivement, il y aura toujours des angles morts mais ils seront ainsi sériés en amont de la phase offensive et au maximum de ce qui peut l’être. Après, toute stratégie est morte née si elle n’est pas un tant soit peu agile… Sinon ce n’est pas de la stratégie. Ou alors c’est que vous n’avez pas de public et donc pas d’avenir.
2. Connaître sa communauté, définir sa ligne, et tenir ses positions
Du contenu, du contenu, du contenu. Ou le paradigme et la règle d’or de la PQR (Presse Quotidienne Régionale) revisitée : proximité, proximité, proximité. Oui mais quoi comme contenus ? Si possible des contenus originaux, attractifs, voire exclusifs. L’équation à résoudre est un savant dosage entre : l’actualité « institutionnelle », l’actualité « événementielle » et l’actualité « produit » + valoriser les contenus pertinents de votre communauté + un ton adapté à vos messages et à vos cibles + une fréquence de tir raisonnable + une disponibilité/réactivité pour répondre aux sollicitations. Attention, canarder vos différentes timeslines tous azimuts n’a strictement aucun effet sur votre audience. Enfin si : au mieux, vous êtes considéré comme un « spammeur ». Au pis, c’est votre notoriété et votre crédibilité qui seront questionnées. Même chose si vous vous exprimez sur des sujets loin de vos compétences ou de vos champs d’activités. Avoir un avis sur tout n’a strictement aucun sens. Utile : rédiger une charte qui soit un document opposable en interne comme en externe.
3. Ne pas aller à la guerre en tongs ou en espadrilles
Mettre en place une stratégie de social media, c’est évidemment du temps et des moyens humains mais aussi des moyens techniques et financiers. L’ère de la gratuité a disparu mon bon monsieur ! Au niveau organisationnel, dans l’absolu, tout est envisageable en partant du community manager à temps partagé (fonction interne ou externe) jusqu’à l’équipe dédiée. Chaque organisation a ses travers et, au final, tout dépendra de la taille critique de l’organisation, de son ambition et de ses enjeux en terme de social media. Une chose à ne pas minorer : le community management est une fonction stratégique. Le community manager doit avoir un « lead » et un mandat et donc une relative autorité en la matière. Un circuit de validation à n+2 ou n+3 est dès lors totalement contre-productif. Bon à savoir : de nombreux outils existent désormais sur le marché et permettent de piloter son dispositif social media en automatisant et en planifiant un certain nombre de tâches (curation, gestion de contenus, SEO, reporting…). Et puis, il y a ce qui marche : les images, la vidéo, les infographies, les études de cas, les livres blancs…
4. Pas de sécurité sans politique de renseignement
Ecouter aux portes, c’est pas bien… Mais en social média, ça ne se discute même pas : c’est un préliminaire indispensable à toute action. Car sans bonne connaissance de son (ses) partenaire(s) pas d’extase possible… Euh, pas de résultats tangibles à escompter. Il faut donc tendre l’oreille, écouter et s’écouter. En commençant par identifier les lieux de conversations et les plateformes où on parle de votre institution et de vos thématiques identitaires. Mais ce n’est pas suffisant. Et fait cela revient à faire pour partie de la veille concurrentielle et sectorielle voir même de l’intelligence économique à condition que mon ami Bernard Besson**** m’excuse de ce raccourci. Tout dépendra alors de votre degré de maturité et d’engagement sur le sujet et de vos objectifs. Là, il ne faut pas se tromper de cibles car si au détour d’une conversation vous pourrez détecter des opportunités d’affaires, l’essentiel est ailleurs : il réside dans la gestion de sa e-réputation et permet d’affiner sa stratégie de contenus. Ne pas oublier que sans analyse, le renseignement n’est même pas un signal faible. Tout juste un bruit ou un gazouillis. A l’instar d’un tweet.
5. « Play the game Yvette »
En corollaire à la définition d’une stratégie éditoriale, il faut également définir son identité ou ses identités numériques. Le qui parle en social média est essentiel. S’agit-il de l’institution ? D’un de ses représentants ? A quel titre s’exprime-t-il : à titre professionnel ou à titre privé ? Evidemment ce n’est pas la même chose. Un individu se résume-t-il à sa fonction ? Là, encore tout est possible et il règne une grande confusion sur les réseaux sociaux – c’est à l’image de la « real life » – où les temps se confondent, les identités s’entremêlent, les frontières s’estompent… Il y a là un risque sous-évalué en terme de notoriété. Prendre la parole sur les réseaux sociaux cela ne s’improvise pas. Surtout, il faut rester dans ses champs de compétences, sur ses valeurs, mettre en place une politique de délégation/représentation et de porte-parolat, construire un storytelling et accepter et la conversation même sur les sujets difficiles. Bref, une éthique de la conversation. Inutile de RT uniquement des « softs news » et de ne pas répondre aux commentaires qui piquent. Et puis, il y a un temps pour tout : celui de la crise et celui de la distance avec les messages et avec l’outil.
Le plus dur en social media ce n’est pas de conquérir de nouveaux followers, c’est de les conserver. La course à l’audience est une hérésie. Mieux vaut privilégier l’engagement et la relation durable. Pour y parvenir, trois ingrédients sont indispensables : l’humilité, l’agilité, et l’authenticité…
Reste qu’il est important de réfléchir en permanence à sa pratique pour l’améliorer et s’améliorer. Dans un récent édito, Isabelle Musnik, directrice de la rédaction d’Influencia relate les résultats d’une étude réalisée par le Happiness Research Institute de Copenhague sur un groupe de 1 095 personnes. Objet de l’étude : comprendre comment les médias sociaux affectent la qualité de notre vie. Pour cela, un échantillon est privé de Facebook pendant une semaine…. Les résultats sont hallucinants : les sevrés se déclarent plus « heureux » et plus « enthousiastes » et en même temps envieux des expériences « étonnantes » postées par les non-exclus voir même jaloux ou concupiscents vis-à-vis du relatif succès de ces posts sur Facebook.
C’est pas le moment de prendre un bon livre ?
* Chiffres : août 2015 / Source : Blog du modérateur – http://www.blogdumoderateur.com/chiffres-reseaux-sociaux/
** Periscope n’est pas, à proprement parler, un réseau social, c’est une application qui –une fois associée à votre compte Twitter – vous permettra de visionner et de diffuser de la vidéo en streaming.
*** Sources : Global Web Index
**** Ancien chargé de mission auprès d’Alain Juillet, Haut Responsable pour l’Intelligence Économique et d’Olivier Buquen Délégué interministériel à l’intelligence économique. Bernard Besson est également consultant auprès des Nations Unies auteur de référence sur le sujet.